Comment comprendre l’évolution de l’escalade/montagne FSGT à Paris, passée de 2 à 16 clubs et de 100 adhérents en 1999 à près de 3 000 aujourd’hui ? La grimpe FSGT est une fabrique d’innovation sociale. Elle est basée sur l’autogestion responsable et solidaire et devient alors un lieu d’apprentissage d’une autre manière de faire société.
La vie associative ne va pas de soi. Quand un.e pratiquant.e pousse la porte d’un club ce n’est pas pour participer au projet FSGT. Il ou elle vient pour la grimpe, pour accéder à un mur et souvent espère bénéficier d’un encadrement, voire d’un « coaching ». Première surprise, le club ne lui propose pas une prestation, mais se définit comme une association où ce sont les adhérent.e.s qui s’organisent collectivement pour mener à bien leur activité… « On s’occupe pas de moi comme je le pensais ! ». Une fois initié.e par ses pairs, il.elle devient pratiquant.e autonome et se voit alors sollicité pour s’engager et participer aux activités du club… « Et en plus, on me demande de participer ! ». La plupart découvrent cette forme de pratique sportive 100 % associative. C’est souvent une sacrée surprise, parfois cela engendre des refus : « Je suis pas là pour ça, je ne sais pas faire, j’ai pas le temps, et pourquoi je ferai ça, je suis pas dans le social… ». Tout l’enjeu de l’animation de la vie du club consistera à réduire l’écart entre notre vie 100 % associative et des attentes souvent formatées pour la consommation marchande… « J’ai payé pour une prestation, pas pour une implication ».
Animer la vie associative permet au plus grand nombre de vivre la transition entre une logique de pratiquant.e, plus ou moins consommateur, à une logique d’adhérent.e engagé.e dans l’association et plus encore dans la vie de la cité par l’intermédiaire de la pratique sportive.
Le projet de la FSGT se fonde sur trois idées forces, d’abord l’accessibilité de toutes et de tous aux pratiques sportives. Ce combat nous relie aux origines ouvrières de la Fédération, au travers des pratiques sportives émancipatrices. Toutes nos pratiques visent la formation de pratiquant.e.s toujours plus autonomes, responsables, associatifs et solidaires pour partager leurs savoirs. Et enfin, une vie associative véritable. Cette troisième idée, relie les deux précédentes. Elles ne peuvent être dissociées. On ne peut pas dire : « Tout le monde peut grimper en tête » et « Seuls quelques membres du bureau décident ! ». « Nous voulons des cordées réversibles » et « Il y a des décideurs et des exécutants ». « Nous voulons des pratiquants autonomes et responsables » et « Le club a un fonctionnement hiérarchique et délégataire ». Comme les trois pieds assurent la stabilité du tabouret, ces trois idées-forces assurent la solidité du projet FSGT. Si on enlève l’une des trois ça ne tient pas… ou ce n’est plus la FSGT !
Le statut de la loi de 1901 ne garantit en rien l’existence d’une vie associative de qualité et émancipatrice. Il garantit juste d’agir dans le cadre des lois de la République et de ne pas se partager d’éventuels bénéfices ! Un large pan du secteur associatif s’en tient à une vie associative formelle sans réelle implication des membres. Une vie associative émancipatrice recherche la participation et l’implication volontaire maximum de toutes et tous dans tous les domaines. Cet engagement fonctionne sur le mode de l’échange et pas du sacrifice. Chacun.e apporte et reçoit. C’est la logique du don et du contre don popularisée par Marcel Mauss*. Donner, recevoir, rendre cela crée le lien et le liant entre les individus et les groupes. Rechercher des échanges où chacun.e s’y retrouve est sans doute le point central. L’accueil par les ancien.nes des nouveaux adhérent.e.s débutant.e.s est un bon exemple afin d’acquérir et d’accéder à un premier palier d’autonomie.
L’initiateur bénévole, donne du temps, de l’attention à l’autre et de la culture sous la forme des techniques d’escalade. Il incarne par sa présence et son action la réalité même de la vie associative. Il reçoit en retour une conscientisation de ses compétences, de la reconnaissance sociale et une valorisation personnelle. La formation forme le formateur, toujours !
L’adhérent.e débutant.e reçoit des apprentissages techniques. Ce n’est pas la même chose d’apprendre avec un.e professionnel.le rémunéré.e et un bénévole volontaire. Il.elle est introduit dans la vie du club. Son initiation constitue une « dette symbolique ». Il.elle s’en libérera d’une manière ou d’une autre en participant à d’autres activités ou en renvoyant concrètement l’ascenseur l’année suivante en participant à l’initiation des nouveaux. Chaque rentrée des centaines de nouveaux sont accueillis et initiés par des non-spécialistes. À l’heure où le repli sécuritaire tend à rigidifier sans cesse l’encadrement des activités dites « à risque », nous démontrons chaque année que des bénévoles peuvent rendre autonomes des centaines de nouveaux adhérent.e.s. Cette rencontre va au-delà de la simple transmission d’un savoir technique.
Le collectif d’animation est un exemple de démocratie participative qui fonctionne sans mandat, sans vote et accessible à toutes et tous. L’ensemble des décisions concernant la vie du club sont prises lors de réunions ouvertes à toutes et tous. C’est un apport conséquent pour refonder la vie démocratique classique souvent à bout de souffle. Il faut souligner que ce travail se réalise sur des bases différentes de l’efficacité et de la technicité qui prévaut dans le monde du travail ou dans le secteur marchand. Nos forces : notre nombre, notre gratuité, notre rapport au temps différents. Ces modes d’action présentent un intérêt certain pour tous ceux qui recherchent des alternatives à la concurrence et au marché.
On ne naît pas militant associatif, on le devient ! C’est un processus à accompagner pour que le nouveau.le pratiquant.e, plutôt consommateur.trice, évolue vers le membre actif impliqué. Il importe que les « choses à faire » proposées comportent des degrés d’implication variables par exemple d’aider aux inscriptions ou d’animer les séances enfants, de nettoyer les prises du mur et à réorganiser le site internet, du tranquille au risqué, du rangement du matériel, de l’animation du collectif d’animation du club, de l’exécution à la conception de projets, de vérifier les listes d’adhérents et à imaginer d’autres formes de compétitions. Les adhé-rent.e.s pourront évoluer progressivement, à leur rythme en passant d’une logique de coup de mains à une logique de projet, voire de pilotage.
Nous sollicitons la créativité en donnant une place importante à l’initiative de celles et ceux qui vont agir ensemble. On renforce le plaisir et l’intérêt de l’implication. L’entre-soi, la crainte de s’aventurer au-delà du club, le refus des activités fédérées sont des risques d’autarcie et de sclérose. On peut les prévenir par les coopérations et l’implication dans les projets communs interclubs.
L’engagement militant émerge dès que la disponibilité, la curiosité, les sollicitations amènent les bénévoles à s’aventurer au-delà de leur club. Ainsi, dès les années 2000, l’entraide pour soutenir la création de nouvelles associations a joué un rôle fondateur pour constituer un réseau d’amitiés et de confiance. La participation, l’implication dans les activités et les collectifs qui portent des projets communs aux clubs suscitent de nouvelles vocations souvent durables. Ainsi au fil de deux décennies de véritables attracteurs générateurs de nouvelles et nouveaux militant.e.s ont constitué le milieu formateur/transformateur de l’escalade FSGT IDF.
Philippe SEGRESTAN et Yves RENOUX
Article paru dans la revue du comité de Paris de la FSGT 2022-2023